mercredi 26 juin 2013

Le Val est-il un jeu de Hasard ?

Voici maintenant quelques semaines que le val est sorti et déjà beaucoup de retours très positifs sur le jeu. L'univers séduit, les mécaniques du jeu plaisent. Les possibilités stratégiques sont reconnues et appréciées. Le jeu est indéniablement un succès. J'en suis très heureux et je tiens ici à remercier tous ceux qui ont soutenu ce projet dès sa sortie et ceux qui le soutiendront dans les jours à venir.

Néanmoins cet article ne porte pas sur les louanges. Il porte sur les quelques retours négatifs. Très souvent soulevés par des joueurs enthousiastes, ces points négatifs sont à ce jour suffisamment convergents pour qu'il me soit possible de faire ici une réponse groupée et complète à leur sujet. Pour le moment, on trouvera principalement deux critiques qui appellent finalement une seule et même réponse.


La première critique porte sur certaines mains jugées "injouables". Bien que le jeu prévoit de relancer les mains au cas où l'une d'entre elles serait dépourvue de figure, certains joueurs demandent la possibilité d'un "mulligan" ou d'un autre changement de main. Autrement dit, ils souhaiteraient pouvoir toujours être en mesure de reprendre une main si celle-ci ne leur convient pas. Ces joueurs cherchent à éviter les mains dépourvues d'une ressource cardinale particulière. Reprendre une main de la sorte pourrait coûter des points de majesté ou des cartes en main, peu leur importe. Je suis personnellement très hostile à cette pratique. Elle va contre mes intentions pour le jeu, j'en expliquerai le pourquoi plus loin.

La seconde critique porte sur l'aléatoire jugé beaucoup trop important. Force est de constater que la chance semble jouer énormément lors des premières parties disputées, mais ne vous y fiez pas, le val est bel et bien un jeu de stratégie. Pendant ses premières parties, aucun joueur ne peut directement saisir les subtilités stratégiques du jeu. Or, sans ces stratégies, ces ouvertures et ces gambits, le val sera systématiquement gagné par le joueur le plus chanceux. Par conséquent, ces deux critiques négatives reçoivent une seule et même réponse : la patience.



Si certaines personnes formulent ces critique à l'encontre du val c'est peut-être qu'elles n'ont pas encore joué suffisamment. Le val est un peu comme une activité sportive ou musicale. Il nécessite de la pratique et de l'entraînement. Pour celui qui touche une guitare la première fois, la possibilité de jouer correctement est interdite. Le val est comparable à un instrument de musique, il est facile d'y produire un son, mais il est difficile d'y produire une mélodie. Avant de cesser d'invoquer systématiquement la chance, il aura fallu au moins une vingtaine de parties à chacun de mes playtesteurs du jeu. Cédric, Thomas, Flavie, Adrien, Natacha, David et moi-même, tous, lors de nos premières parties de val, nous invoquions la chance. Aujourd'hui ce n'est plus le cas.


J'apporte comme preuve mon expérience personnelle au sujet de tous ces joueurs. Tous ces joueurs ont disputé entre eux au moins 20 parties de val. A l'heure où j'écris, Adrien gagne systématiquement contre Natacha. Flavie et moi-même sommes à égalité ou presque (Flavie est très légèrement meilleure que moi). Lorsque nous nous confrontons dans le val, nous n'arrivons jamais à trancher la victoire. L'autre soir, nous avons encore fini la soirée sur le résultat de 5 manches pour Flavie contre 5 manches pour moi. En revanche, contre moi, Cédric gagne quasiment 3 duels sur 4 ! Il m’éclate ! Selon moi, Cédric est actuellement le meilleur joueur du val.

De même, avec David, nous avons passé une nuit entière sur le jeu. Au début de la nuit, je gagnais toutes les parties. Mais plus la nuit avançait, plus il commençait à me poser de sérieuses difficultés. On a terminé notre session de val sur une partie mémorable. Elle a probablement durée une heure et elle s'est achevée au levé du jour, au sens du jeu comme au sens propre. Comment expliquer ces résultats uniquement par la chance ? Si vraiment la chance jouait à plein, sur autant de parties nous constaterions, beaucoup plus d'égalités.


Quant au "mulligan", c'est à dire une possibilité de changer de main qui serait offerte par le système du jeu, je suis contre. Accepter la possibilité d'un changement de main volontaire, ce serait accepter la possibilité d'une main meilleure que l'autre. Or cela, je n'y crois. Je pense qu'au val, c'est le joueur qui doit faire la différence. J'ai envie de paraphraser ce bon vieux Patrick Bruel en disant qu'au val l'important ce n'est pas les cartes, c'est ce que vous en faites.

Le mulligan a du sens dans un jeu construit, comme Magic : l'assemblée car celui qui a construit son jeu connait les mains idéales et les mains efficaces qu'il peut produire contre un adversaire donné. Mais dans un jeu où les joueurs partagent un paquet commun, mulliganer reviendrait à retenter la chance. Ce serait pour ainsi dire la même chance, ni plus ni moins. 

Même si un mulligan était possible au val, de toute façon, on pourrait toujours justifier la défaite par une mauvaise main ou par une nécessité de mulligan. Un joueur de val, après avoir mulligané pourrait toujours affirmer : "je n'ai pas eu de chance, au début de cette partie, j'ai du mulliganer et c'est pour ça que j'ai perdu". D'ailleurs on entend très souvent des joueurs de Magic se justifier de la sorte. Dans le fond, le mulligan au val ne ferait que remettre la chance à plus tard, il ne l'annihilerait pas.


 

Pour limiter les effets de la chance au val, il vous suffit simplement de disputer un grand nombre de partie. Avec Flavie, nous disputons très souvent une dizaine de parties pour vraiment déterminer le vainqueur. La dernière fois que nous avons joué ensemble, nous avons produit six parties. J'ai gagné 2 parties, elle en a gagné 4. Elle m'a battu. Elle m'a vraiment battu... sur l'ensemble des parties elle est restée constante et franchement redoutable, là où moi je papillonnais, voire je fanfaronnais... le retour du lièvre et de la tortue... le résultat est sans appel : identique à celui de la fable.

Les deux premières parties, je les ai gagnées haut la main. Stratégiquement, je suis meilleur qu'elle. J'ai une meilleure puissance de calcul. Aux échecs, par exemple, je gagne systématiquement contre Flavie et sans aucune difficulté. Sur le papier, tout porte à croire que je suis meilleur qu'elle au val... mais psychologiquement, c'est autre chose. Je m’effondre à la moindre défaite. Lorsque j'ai perdu la troisième partie, j'étais à deux doigts du levé de Soleil, j'avais presque réussi à la tenir en échec ! J'étais tellement dégouté d'avoir perdu cette partie, que je n'ai plus jamais réussi à me concentrer... Après cette défaite, j'ai enchainer les défaites. J'ai laisser passer certaines chances de victoire, en jouant trop vite, ou en abandonnant bêtement alors qu'elle avait une main pourrie et que j'avais de grande chance de victoire.

Tous ceux qui me connaissent le savent, je suis mauvais joueur et cette attitude me coute un nombre de parties considérable. J'essaie de me soigner, mais je n'y arrive pas. La mauvaise foi, c'est plus fort que moi. J'en veux pour preuve ce podcast de La Cellule, consacré au Val, dans lequel Cédric et Flavie se moquent ouvertement de moi sur ce point. La Force au val, comme au poker paraît-il, provient aussi du bluffe et de la psychologie des joueurs.



Une autre critique, découlant elle aussi des mains injouables, porte sur les parties dites "lockées". Dans un jeu de société, une partie est "lockée" lorsqu'un joueur a épuisé toutes ses ressources tandis qu'un autre domine implacablement la partie. Ces parties ne présentent aucun enjeu, ni aucun intérêt. Le gagnant est connu d'avance et le perdant attend seulement de perdre. Dans un jeu quelconque, si ce genre de partie tend à se répéter, c'est qu'il est mal conçu.

Le val connaitrait des cas fréquents de parties lockées. Je ne suis pas du tout de cet avis. J'admets qu'ils existent quelques cas de parties lockées mais je soutiens, au contraire, qu'elles sont exceptionnelles, très spécifiques et souvent volontaires. Je crois que les gens qui formulent ce retour n'ont tout simplement pas encore compris les enjeux stratégiques du val. Ils n'ont pas assez joué pour le moment. Les parties lockées ont lieu fréquemment si le joueur est débutant et parce que le joueur est débutant. D'ailleurs ces retours ont souvent été formulés par des joueurs n'ayant joués que quelques parties, histoire de tester le jeu rapido.

De telles parties, nous aussi, playtesteurs, nous en avions au départ. Et puis, à force de jouer, nous avons pris conscience que très souvent nous lockions nous-mêmes nos parties en jouant trop vite nos cartes. Les exemples typiques ce sont les joueurs débutants qui jettent systématiquement tous leurs trèfles parce qu'ils veulent piocher à tout prix ; les joueurs qui produisent un enfant faible alors qu'ils n'ont qu'un seul cœur en main ; le petit carreau joué de la main, parce que le joueur s'ennuie pendant un tour, alors que ce carreau aurait pu servir d'esprit à un chevalier ; etc. Encore une fois, pour ne produire aucune partie lockée, il suffit seulement d'être patient.


En revanche, il ne faut pas se mentir non plus, au val, comme dans tous les jeux de cartes qui font appel au hasard pour la distribution, il y a toujours la possibilité d'une partie médiocre. Il existe évidemment quelques cas de parties lockées ou perdues en raison d'une malchance insensée. C'est inévitable. Même dans Magic, une référence du jeu de cartes, la construction de jeu n'élimine pas totalement la possibilité d'un "mana death" c'est à dire en jargon plus technique "la burne de mana", la partie injouable ! Je prétends que le val produit beaucoup moins de parties médiocres que Magic.

Alors, au val, qu'elles sont les rares parties médiocres ? Ce sont les parties où vous perdez parce que vous avez trop de figure, ou pas assez de figure. Cependant, gardez à l'esprit que si vous avez pioché toutes ces figures, c'est que votre adversaire n'en a pas piochées beaucoup. Cette remarque vaut aussi lorsque vous vous plaignez d'avoir une trop grande quantité d'une ressource donnée. Si vous avez beaucoup de pique, c'est que votre adversaire n'en a pas beaucoup. Fort de cette information, déployez vos troupes en conséquence et vous verrez que la partie deviendra passionnante.


En résumé, un seul mot d'ordre contre tous ces maux : soyez patient. Ne déployez pas vos ressources trop vite. Le but du jeu n'est pas de poser un maximum de cartes sur le versant et ce le plus rapidement possible. Le but du jeu c'est que chaque carte posée vous apporte un avantage durable pour la partie. Chaque carte posée doit au moins faire l'objet d'un échange avantageux. A ce titre, un As peut être une qualité majeure. Relisez attentivement les parties consacrées aux ouvertures et n'hésitez pas à les tenter vous même volontairement. C'est une excellente façon de se former à la stratégie dans le val.

Voilà, il me semble avoir répondu aux premiers retours négatifs concernant le jeu. Dans un prochain article, j'essaierai de vous livrer d'autres conseils stratégiques pour les débutants et pour les joueurs plus chevronnés. J'aurai beaucoup à dire. En attendant, le forum vous permettra de discuter avec les meilleurs et d'inscrire votre Force Céleste dans le ciel. Portez vous bien et surtout jouez bien !